Coin-coin : le vilain petit canard (Squeeze n°8) by Collectif

Coin-coin : le vilain petit canard (Squeeze n°8) by Collectif

Auteur:Collectif
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature prochaine génération - Textes courts
ISBN: 979-10-92316-049
Éditeur: Revue Squeeze
Publié: 2008-01-23T16:00:00+00:00


Chapitre 1… Goûtez-moi, il paraîtrait que je sois bonne pâte.

Les gens ne prennent jamais le temps de me connaître réellement. Je veux dire, outre les premières impressions dégagées par mes sourires tristes, ma démarche nonchalante et mon calme apparent.

Voilà cinq ans que je demeurais esseulée dans ce village des Pyrénées à faire sauter des crêpes, éperdue dans l’ombre de ce chalet salon de thé tenu par mon père. Ce n’était pas la vie que j’espérais…

Tout avait commencé par une rencontre à Biarritz. C’était un surfeur et il m’avait initiée à son Art. À cette époque, je me faisais appeler Chloé et j’avais teint mes cheveux en blond platine… Je ne voulais surtout pas qu’on me reconnût, qu’on sût qu’au cœur de ce corps mince et agile se cachait la grosse Charlotte, celle qui cuisine depuis l’enfance pour sa famille, celle que l’on honnit, que l’on gourmande pour apaiser ses colères, celle que l’on piétine aisément… Charlotte, on l’a toujours savourée, dévorée, gobée, avalée. Pas étonnant, quand on traîne depuis la naissance un nom de gâteau. Pas étonnant que l’on me considère comme une bonne pâte. Pas étonnant que j’aie bon goût aussi, il paraît que ma peau à la saveur du lait à la vanille.

Quand je l’ai rencontré, je n’étais pas tout à fait moi, j’étais Chloé. Bizarrement, sous ce déguisement physique, et même psychologique, parce que chaque phrase que je prononçais prenait une intonation différente que d’habitude, je me tenais avec plus de légèreté et d’aisance, ainsi libérée du poids de mes souvenirs traumatisants.

Je l’ai séduit papillotant dans mon artifice. Je me plaisais à jouer ma comédie, à réinventer ma vie. Il m’aimait ainsi : sportive, athlétique, vive et rieuse.

Outre le surf, il se passionnait pour le parapente. À mesure qu’il en parlait, l’idée d’un vol m’obsédait. J’en rêvais régulièrement, parfois en même temps que lui, si bien que nous décidions de nous installer dans les montagnes, près d’un lac, un paysage charmant, une source de rêves au milieu de sentiers escarpés et une altitude idéale pour y prendre son envol.

Je goûtais voluptueusement à quelques moments de grâce, volant attachée à lui sentimentalement et physiquement. Aussi, mes veines qui distillaient une fraîche, limpide et souriante bohème connurent une terrible ischémie au moment où il décida de se passer de ma compagnie durant ses vols. C’était de ma faute, j’avais baissé ma garde et Charlotte se dévoilait un peu, fonçant aux racines ma chevelure platine. Mes appétits charnels frustrés parce qu’il découchait pour s’épanouir dans des rencontres buissonnières, je me délectais d’autres chairs que je récupérais au réfrigérateur et que je réchauffais au micro-ondes. Mes hanches nutellasses, mes cuisses de pintade, ma peau d’orange et mes boutons de saucissons, tout cela avait fait rejaillir dans un bain de graisse la grosse Charlotte.

Mon père, retraité, me sachant destituée , décida d’investir dans une auberge-chalet pour renflouer son compte en banque tout en faisant travailler sa bonne grosse fille, la championne des crêpes.

Je détestais le bourreau de mon cœur. Je ne supportais pas de le voir se pavaner avec ses poules gloussantes.



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